Introduction
En matière de facturation d’honoraires, le présent guide vise à informer les avocats de la pratique privée des fondements de la demande de considération spéciale, des critères utilisés par la Commission des services juridiques pour analyser et évaluer chaque demande, de la méthode de calcul d’un dépassement d’honoraires et finalement des recours possibles en cas de contestation.
La demande de considération spéciale et le rôle de la Commission des services juridiques
Les fondements juridiques de la demande de considération spéciale se trouvent aux articles 7 et les articles 153 à 165 de l’Entente du 4 décembre 2020 entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats dans le cadre du régime d’aide juridique et concernant la procédure de règlement des différends (ci-après « Entente tarifaire civile ») ainsi qu’aux articles 14 et 68 à 80 de l’ Entente du 4 décembre 2020 entre le ministre de la Justice et le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats rendant des services en matières criminelle et pénale et concernant la procédure de règlement des différends (ci-après « Entente tarifaire criminelle ») ; trouvent également application les dispositions du Règlement sur la reddition de comptes concernant les services rendus par certains avocats et par certains notaires.
Un avocat peut donc soumettre une demande de considération spéciale afin que la Commission des services juridiques (ci-après nommée « CSJ ») détermine (1) si le mandat comporte ou a acquis un caractère exceptionnel en raison des circonstances de son accomplissement ou encore en raison de la complexité de l’affaire et, s’il y a lieu (2) détermine le montant d’un dépassement d’honoraires qu’elle juge approprié 1.
Les critères qui servent de guide à la CSJ sont résumés dans les sections qui suivent.
Une demande de considération spéciale, s’il y a lieu, est soumise avec le relevé d’honoraires de l’avocat et préparée à l’aide du formulaire disponible sur le site de facturation des mandats d’aide juridique (voir formulaire à l’Annexe I ). La CSJ examine la demande, transmets sa décision et, le cas échéant, effectue le paiement dans les trente (30) jours de la réception de la demande à défaut de porter intérêt 2 .
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1
Article 7 de l’Entente du 4 décembre 2020 entre le ministre de la Justice et le
Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des avocats
dans le cadre du régime d’aide juridique et concernant la procédure de
règlement des différends (ci-après « Entente tarifaire civile ») et
article 14 de l’ Entente du 4 décembre 2020 entre le ministre de la Justice et
le Barreau du Québec concernant le tarif des honoraires et les débours des
avocats rendant des services en matières criminelle et pénale et concernant la
procédure de règlement des différends (ci-après « Entente tarifaire
criminelle »)
2
Articles 7 et 9 du Règlement sur la reddition de comptes concernant les
services rendus par certains avocats et par certains notaires, chapitre A-14,
r. 8.
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Les critères objectifs pour déterminer si un mandat comporte ou a acquis un caractère exceptionnel
Comme mentionné ci-haut, pour être admissible à l’obtention d’une considération spéciale, un mandat doit comporter ou avoir acquis un caractère exceptionnel. Un mandat habituel et courant dont l’accomplissement est normal et régulier ne peut donc pas faire l’objet d’un dépassement d’honoraires. En d’autres mots, un mandat qui ne comporte pas de questionnement, de réflexions juridiques ou de préparation qui l’amène à sortir de l’ordinaire en comparaison à d’autres mandats de même nature ne peut faire l’objet d’un dépassement d’honoraires 3.
Pour l’évaluation et la détermination du caractère exceptionnel d’une affaire visée par le mandat, la jurisprudence prépondérante s’inspire des critères objectifs élaborés par la Cour supérieure sous la plume de l’Honorable juge Archambault dans l’affaire Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Aztec Iron Corp.(ci-après) 4 . Il vaut la peine de les énumérer :
«
1. La gravité et la complexité des questions de fait et de droit soulevées.
2. La nature particulière du litige et le peu de fréquence de son apparition devant les tribunaux.
3. La durée de la préparation de la présentation de la cause.
4. Le quantum du montant ou des intérêts en jeu.
5. Les études et recherches obligatoires avant et pendant le procès dans un domaine autre que le juridique.
6. Le genre de preuve requise et, particulièrement, la preuve scientifique ou technique par experts.
7. L'assistance ou présence nécessaire d'un conseil ou d'un aide ou expert, surtout lorsque les parties adverses en agissent de la sorte.
8. La quantité, l'importance ou complexité des documents étudiés et produits.
9. Le nombre de jours d'enquête et d'audition, le nombre de témoins ordinaires ou d’experts entendus.
10. La multiplicité des actes et incidents de procédure et leur importance ou utilité relative.
11. La tenue de commissions rogatoires, leur éloignement et leur durée.
12. La répercussion normale du jugement sur la réputation et les affaires des parties ayant commandé une préparation plus complète et plus soignée de la demande ou de la défense.
13. L'ordonnance de mémoires après audition au fond ou sur les incidents sur faits et droit.
14. Les difficultés particulières que présentaient la préparation de la cause et la tenue du procès.
15. Les conférences préparatoires entre avocats, parties ou experts en vue d'écourter l'enquête et de fournir des aveux sur des points particuliers.
16. Les conférences avec les témoins et spécialement les experts avant et pendant le procès.
17. La réunion de plusieurs causes présentant des aspects particuliers, chacune d'elles devant toutefois être traitées séparément en regard de l'honoraire supplémentaire ou spécial demandé.
18. L'existence de multiples recours dont l'exercice ou l'abandon peuvent résulter du jugement définitif dans la cause préparée, entendue, plaidée et décidée.
19. Le nombre de parties au litige, le fait que plusieurs défendeurs plaident séparément ou non des moyens similaires ou différents.
20. L'insuffisance manifeste des honoraires « tarifés » en regard de l'ensemble de la cause, de ses incidents, circonstances et répercussions.
21. Sous le nouveau tarif [sic tarif actuel], le montant en litige est presque négligeable, alors qu'il conserve son poids dans les causes commencées avant le premier février 1975, le tarif de cette époque étant qualifié d'inadéquat et d'insuffisant dans bon nombre de décisions.
22. Nécessité de suppléer à cette insuffisance en raisons, sans être en proportion, de l'escalade du coût de tous autres services depuis la mise en vigueur de l'ancien tarif en 1953. [sic … en 197 ]
23. Très rarement exercerait-on une "sage discrétion" en accordant un honoraire supplémentaire ou spécial, à moins qu'il apparaisse que l'importance d'une cause résulte de la conjugaison de plusieurs des facteurs ci-dessus, dont l'énumération n'est pas présentée dans l'ordre de leur valeur respective. »
Dans le même sens mais d’une façon plus concise, la Cour d’appel a résumé ces mêmes critères dans l’affaire Régnier c. Brossard pour l’appréciation de la valeur des services rendues dans le cadre d’un appel 5 :
«
- la gravité et la complexité des questions de fait… soulevées dans l'appel;
- la nature particulière du litige et le peu de fréquence de son apparition devant les tribunaux;
- la durée de la préparation du mémoire;
- la quantité, l'importance et la complexité des documents et des témoignages produits en première instance aux fins de la préparation du mémoire. »
Tous les critères ci-dessus considérés, tant par la Cour supérieure que par la Cour d’appel, servent de guide à la CSJ dans l’analyse et la détermination du possible caractère exceptionnel d’un mandat.
Une abondante jurisprudence, dont les jugements ci-dessous cités, a réitéré l’application de ces critères susceptibles de justifier une demande de considération spéciale.
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3 Racine c. Centre communautaire juridique de l'Abitibi-Témiscamingue, (C.Q. 2000-11-21), #600-02-000839-004; Downs c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2009 QCCQ 7170, para. 19;
4 Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Aztec Iron Corp., [1978] C.S. 266, p.49 à 51.
5 Régnier c. Brossard, J.E. 2003-205 (C.A.), par. 21
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Jurisprudence pertinente
- A c. Centre communautaire juridique de Québec, 2016 QCCQ 11722;
- Bohémier c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2011 QCCQ 11328;
- Bohémier c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2010 QCCQ 1088;
- Downs c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2009 QCCQ 7170;
- Thivierge c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2009 QCCQ 13811;
- Maltais c. Centre communautaire juridique de la Côte-Nord, 2006 QCCQ 7821;
- Markaki c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2006 QCCQ 902;
- Moreau c. Commission des services juridiques de Québec, 2005 CanLII 21725 (QC CQ);
- Bussières c. Québec (Commission des services juridiques), 2004 CanLII 15787 (QC CQ);
- Downs c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2005 CanLII 48735 (QC CQ);
- Paré c. Centre communautaire juridique Laurentides-Lanaudière, 2005 CanLII 43129 (QC CQ);
- Moreau c. Commission des services juridiques, 2005 CanLII 29516 (QC CQ);
- Gagnon c. Commission des services juridiques, 2004 CanLII 56128 (QC CQ);
- Azancot c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2002 CanLII 17381 (QC CQ).
La détermination du dépassement d’honoraires
Une fois que le caractère exceptionnel du mandat a été établi, la CSJ détermine le dépassement d’honoraire à accorder.
Pour ce faire, l’Honorable juge Beauregard de la Cour d’appel dans l’affaire P.G.Q. c. Bernard Corriveau, nous indique qu’il faut considérer que la détermination du dépassement d’honoraires se fait en comparant « la cause dite importante à une cause dite ordinaire »6. Il faut ensuite accorder à la cause dite importante « autant de fois l’honoraire de base applicable qui serait accordé pour la cause dite ordinaire » 7 .
La jurisprudence nous enseigne également qu’étant donné la nature négociée de l’entente, il est proscrit de recourir à toute méthode de calcul purement normative et qui se limite à une formule mathématique, comme le nombre d’heures consacrées au dossier multiplié par le taux horaire ou encore comme le paiement d’un pourcentage du montant facturé. Ainsi, l’avocat ne peut faire une équation entre ce qu’il aurait pu facturer lors d’un mandat privé hors régime d’aide juridique et sa demande de considération spéciale 8.
De plus, l’acceptation par l’avocat de représenter un client en vertu d’un mandat d’aide juridique amène également l’acceptation par l’avocat que sa rémunération se fera selon les critères et au taux du tarif d’honoraires négocié entre le Barreau du Québec et le ministère de la Justice 9.
Il s’agit des principes qui gouvernent la CSJ lors de la détermination du montant du dépassement d’honoraires une fois que le caractère exceptionnel du mandat a été établi.
De ce qui précède des deux dernières sections, il est important pour l’avocat qui soumet une demande de considération spéciale d’expliquer avec détails à la CSJ en quoi son dossier se distingue d’un dossier normal et ordinaire de même nature, notamment quant à la complexité des questions juridiques en jeu ainsi qu’à la nature exceptionnelle des conditions d’accomplissement de son mandat. Dans sa demande, il doit également détailler quels critères de la décision Aztec trouvent application dans son mandat et pourquoi. Il doit transmettre une copie des procédures principales du dossier ainsi qu’une liste détaillée de ses interventions. Il appartient à l’avocat de démontrer à la CSJ le caractère exceptionnel de son dossier.
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6
Québec (Procureur général) c. Bernard
Corriveau, 1991 CanLII 3635 (QC CA).
7Idem
8 Gagnon
c.
Commission des services juridiques,
2004 CanLII 56128 (QC CQ), par. 39.
9 Maltais
c.
Centre communautaire juridique de la Côte-Nord, 2003 CanLII 4114 (QC CQ), par. 51
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Les principes ci-haut discutés quant à la détermination du dépassement d’honoraires sont réitérés et discutés dans plusieurs décisions dont celles ci-dessous citées :
Jurisprudence pertinente
- A c. Centre communautaire juridique de Québec, 2016 QCCQ 11722;
- Paquin c. Commission des services juridiques, 2014 QCCQ 9630;
- Salvant c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2013 QCCQ 12922;
- Thivierge c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2009 QCCQ 13811;
- Maltais c. Centre communautaire juridique de la Côte-Nord, 2006 QCCQ 7821;
- Belliard c. Centre communautaire juridique Saguenay Lac-St-Jean, 2010 QCCQ 2908;
- Gagnon c. Commission des services juridiques, 2004 CanLII 56128 (QC CQ);
- Dufour c. Centre communautaire juridique de la Côte-Nord, 2006 QCCQ 12893;
- Gagnon c. Québec (Commission des services juridiques), 2004 CanLII 48462 (QC CQ);
- Bissonnette c. Centre communautaire juridique de la Rive-Sud, 2007 QCCQ 6227;
- Azancot c. Centre communautaire juridique de Montréal, 2002 CanLII 17381 (QC CQ
Recours possibles en cas de contestation
Selon les ententes tarifaires, un différend s’entend de toute mésentente concernant l’interprétation ou l’application des ententes, notamment quant à la demande de considération spéciale 10.
Lors d’un différend, l’avocat a six (6) mois suivant la réception de l’avis de paiement ou de refus pour soumettre son différend 11. Pour ce faire, l’avocat doit transmettre au centre régional ayant émis son mandat ou à la CSJ, le cas échéant, un avis exposant sommairement les faits et les correctifs demandés 12.
Avant de soumettre un différend, l’avocat peut également recourir à la conciliation. Pour ce faire, il transmet un avis écrit au directeur général du centre régional qui a émis son mandat, à la CSJ ainsi qu’à son barreau de section 13. Le recours à la conciliation interrompt le délai prescription de six (6) mois pour la soumission d’un différend 14. Dans les quinze (15) jours de la réception de l’avis écrit de conciliation, le directeur général du centre régional ainsi que le bâtonnier de section désignent chacun un avocat pour les représenter dans lors de la conciliation 15. Dans les trente (30) jours de leur désignation, les avocats désignés par le Barreau de section et le centre régional rencontrent l’avocat qui a demandé la conciliation et s’efforcent d’en arriver à une entente 16.
Advenant l’échec de la conciliation ou encore si l’avocat est en désaccord avec la réponse du centre régional ou le cas échéant de la Commission des services juridiques à son différend ou s’il n’a reçu aucune réponse à la suite de la transmission de son avis de différend, l’avocat peut soumettre un différend à l'arbitrage par un juge de la Cour du Québec 17. Le recours à l’arbitrage se prescrit par six (6) mois 18. Pour soumettre un arbitrage, l’avocat doit adresser une lettre au juge en chef de la Cour du Québec19 qui doit également être transmise au centre régional, à la CSJ et au Barreau du Québec . Le juge en chef désignera un juge de la Cour du Québec pour agir comme arbitre 20. Le Barreau du Québec peut intervenir ou prendre fait et cause pour l’avocat ayant soumis le différend à arbitrage après un avis d’au moins trente (30) jours à la CSJ 21.
L’arbitre a le pouvoir de maintenir, modifier ou annuler la décision qui fait l’objet d’un différend et selon les termes de sa sentence, ordonner un paiement ou fixer une compensation, rétablir un droit ou rendre toute ordonnance qu’il juge équitable dans les circonstances 22. L’arbitre ne peut toutefois pas modifier les dispositions de l’entente, tenter de suppléer à l’insuffisance du tarif que celle-ci prévoit ou encore compenser un manque à gagner découlant des montants prévus au tarif 23.
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10
Art. 153 de l’Entente tarifaire civile; art.68 de l’Entente tarifaire
criminelle.
11
Idem
12
Idem
13
Art.156 de l’Entente tarifaire civile; art.71 de l’Entente tarifaire
criminelle.
14
Art.157
de l’Entente tarifaire civile; art.72 de l’Entente tarifaire criminelle.
15 Art.158 de l’Entente tarifaire civile;
art.73 de l’Entente tarifaire criminelle.
16 Art.159 de l’Entente tarifaire civile;
art.74 de l’Entente tarifaire criminelle.
17 Art.160 de l’Entente tarifaire civile;
Art.75 de l’Entente tarifaire criminelle.
18 Idem
19
Idem
20
Idem
21
Art.161 de l’Entente tarifaire civile; Art.76 de l’Entente tarifaire
criminelle.
22
Art.163 de l’Entente tarifaire civile; Art.78 de l’Entente tarifaire
criminelle.
23
Notamment Maltais c. Centre communautaire juridique de la Côte-Nord, 2006 QCCQ
7821, par.16; Paquin c. Commission des services juridiques, 2014 QCCQ 9630,
par. 31, 42 et 43.
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